Werther (Max Ophuls, 1938)

L’adaptation du classique de Goethe, une suite de lettres qui relatent les états d’âme de leur auteur, n’était pas évidente à une époque, les années 30, où seul un génial franc-tireur comme Guitry osait la voix-off pour nous faire partager l’intimité mentale de son personnage (Le roman d’un tricheur). Pour adapter Les souffrances du jeune Werther, les scénaristes ont plié le roman à leurs conventions, ils ont retranché, inventé, changé l’essence même de l’oeuvre littéraire pour y substituer une narration plus factuelle et plus visuelle, plus conforme aux canons du cinéma français d’alors. La question devant une trahison aussi manifeste est la même que celle que se posait Truffaut en 58 dans La revue des lettres modernes: est-ce que cette autre chose que constitue le film par rapport au roman est mieux ? La réponse ici pourrait être « c’est autre chose et c’est déja pas mal ».
Indéniablement, le film n’est pas aussi profond que le livre lorsqu’il s’agit d’exprimer les sentiments d’absolu du jeune héros. Par exemple, alors que Goethe prend soin de rendre Albert, le mari de sa dulcinée, admirable aux yeux de Werther -ce qui rend son amour encore plus pur- la simplification de l’adaptation fait d’Albert un bourgeois stéréotypé, qu’il est alors aisé d’opposer au romantique.  Simplification et superficialité du lyrisme.
Maintenant, que gagne-t-on à cette adaptation ? Eh bien, d’abord, les idées cinématographiques des auteurs pour traduire le texte à l’écran sont parfois très belles. C’est le cas du changement de carillon, péripétie absente du roman qui est un beau symbole romantique. C’est le cas de la photographie en clairs-obscurs à tendance expressionniste. Ensuite, une narration moins centrée sur Werther tempère le romantisme de Goethe et donne une importance nouvelle à Charlotte. Et c’est là qu’on retrouve la patte d’Ophuls, c’est dans ce portrait de passionnée vertueuse qui a à voir avec toute une tradition romanesque française (les Mme de Rênal, Mme de Mortsauf, Mme d’Orgel…) mais pas avec Goethe. Le plus beau plan de Werther contient déja en germe le clou de l’oeuvre d’Ophuls, à savoir la séquence de la communion dans Le plaisir. Il s’agit d’une confession de Charlotte. Sur l’air de Plus près de toi mon Dieu (le même cantique que dans Le plaisir), la caméra filme les aveux d’une Charlotte amoureuse mais chaste avant de recadrer vers le crucifix qui la surplombe. Le visage éploré et le symbole divin dans le même plan. Simplicité de l’expression du tiraillement entre un désir évident et une morale qui apparaît comme étouffante en même temps que subtilité de ce propos grâce à la liturgie de la mise en scène qui s’accorde à l’esthétique religieuse.
Werther est donc un film intéressant à plus d’un titre, loin d’égaler la puissance d’expression du chef d’oeuvre de Goethe, mais contenant suffisamment de beautés qui lui sont propres, de beautés ophulsiennes notamment, pour que l’amateur prenne le temps d’y jeter un oeil attentif.

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