Le café des Jules (Paul Vecchiali, 1988)

Un samedi soir dans un bistrot de province, les plaisanteries des habitués dégénèrent gravement lorsqu’un étranger de passage s’avère être vendeur de sous-vêtements féminins.

Ce petit film d’une heure est une des plus terribles dissections de la méchanceté jamais vues sur un écran. Le génie de Jacques Nolot (qui a écrit le film) et Paul Vecchiali est d’avoir organisé une progression implacable vers le drame à partir de faits a priori banals. Ainsi, l’universalité de l’étude comportementale se nourrit du réalisme de l’environnement et de la psychologie des personnages. Au fur et à mesures des verres ingurgités, les jeux et les codes des piliers de bars révèlent la cruauté et la perversité qui les sous-tendent. On n’avait vu critique du machisme plus percutante depuis Thé et sympathie.

Et là où Le café des Jules s’avère aussi grand que le film de Minnelli, c’est que l’acuité de cette critique ne va pas sans un strict minimum d’empathie envers les personnages qui incarnent ces valeurs attaquées. Au détour d’un plan ou d’une réplique se révèlent les fêlures intimes d’un homme. C’est par exemple le « ha le con, il aurait pu me dire bonjour alors » lâché par le meneur du groupe au moment où il apprend, par hasard, que son fils est en ville. La méchanceté ne va pas sans aigreur ni ressentiment…La finesse de l’écriture et la richesse des relations entre les personnages sont telles que rien n’apparaît arbitraire ou vulgairement démonstratif.

Cette dialectique chère à Vecchiali, cette nécessaire dialectique qui empêche une lecture univoque du film et qui est fidèle à la complexité de la vie, on la retrouve également dans le découpage du cinéaste. Ainsi, la fameuse scène du viol est un modèle de responsabilité morale et d’intelligence cinématographique. Tout le contraire de la complaisance d’ado attardé d’un Gaspard Noé. Le plan où l’agresseur se surprend dans le miroir et se dégoûte est magnifique mais aurait viré à l’abject s’il n’avait été immédiatement suivi de celui, plus long, sur le visage de la victime meurtrie. Ici, avec ses choix judicieux entre ce qu’il faut montrer et ce qu’il ne faut pas montrer, Vecchiali rappelle que la grandeur d’un cinéaste est d’abord celle d’un homme.

Il est bien servi par des acteurs gorgés de vérité humaine: Nolot lui-même, pas plus ignoble que banal, ou encore Brigitte Rouan, victime superbe et pathétique de la connerie provinciale.

Précisons enfin que Vecchiali insuffle à cette étude de comportement aussi implacable que les meilleurs films de Fritz Lang des accents lyriques inattendus. J’en veux pour preuve le sublime plan-séquence final, constat tranquillement désespéré dont le pessimisme est cependant tempéré par le geste mystérieux d’un personnage secondaire. Le tout au son des cordes magnifiques, deleruesques, de Roland Vincent. Ces envolées un brin décalées ne sont pas pour rien dans la fascination durable imprimée par Le café des Jules, peut-être le chef d’oeuvre de son auteur et assurément un des films les plus importants de ces trente dernières années.