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Un fermier qui vit près de la frontière mexicaine a épousé une jeune femme en liberté conditionnelle. L’ancien amant et complice de celle-ci revient un jour avec un magot d’un million de dollars. Il entraîne le couple dans sa cavale…
The river’s edge est un polar dans lequel les conventions du genre sont complètement transcendées par les auteurs. Il y a d’abord la formidable inventivité d’une équipe de vieux routiers hollywoodiens aptes à créer avec trois fois rien. Voir par exemple la longue et passionnante séquence de la grotte dans laquelle trois protagonistes, un pistolet, un magot et un serpent suffisent pour faire rebondir intelligemment les situations et révéler la nature profonde des personnages. Une des marques du génie d’Allan Dwan dans ce film est sa façon de réduire un décor à quelques éléments clés pour en synthétiser l’essence. Par exemple, un feu de camp et deux arbres lui permettent de réduire la forêt à une scène de théâtre et de faire ainsi fusionner les dimensions du drame avec celles du cosmos. Les possibilités du Cinémascope sont magnifiquement exploitées. La lumière de The river’s edge est également extraordinaire. La vivacité des couleurs et l’épaisseur des textures des accessoires modernes (voitures, mobilier intérieur…) aussi bien que le scintillement des rayons solaires sur la rivière donnent à l’environnement une présence profondément irréelle, subtilement magique. Cette harmonie plastique est cependant régulièrement heurtée par des éclats de violence tel, au milieu d’une séquence nocturne, ce raccord brusque sur le corps ensanglanté d’un flic venant d’être écrasé.
En effet, Dwan n’est pas metteur en scène à faire de la joliesse pour esquiver le traitement du drame. Aussi panthéiste que soit son style, les passions des protagonistes sont au centre des préoccupations de cet authentique humaniste. Passion est d’ailleurs le titre d’un autre de ses chefs d’oeuvre. The river’s edge est d’abord un film d’amour avec des personnages magnifiques. Anthony Quinn est bouleversant de vérité. Lorsqu’il conduit la caravane et qu’il regarde dans le rétroviseur, les tourments intimes de son personnage sont exprimés en deux plans. Debra Paget, affriolante comme il faut, incarne parfaitement l’ambigüité féminine. Quant au personnage de Ray Milland, les auteurs ont eu l’idée de détourner la convention qui régit son caractère de méchant. Idée d’une simplicité biblique qui achève de faire du polar un sublime poème élégiaque. The river’s edge est un des meilleurs films nés de la miraculeuse association entre Allan Dwan et le producteur Benedict Bogeaus.
Je relis ma critique et je me rends compte de la variété quasi-délirante des adjectifs que j’ai employés pour qualifier la beauté de cette série B. Elégiaque, panthéiste, humaniste…autant de termes parfois contradictoires qui devraient m’engager à revoir ma copie. Mais si le secret de ce joyau baroque et primitif (allez, deux de plus) résidait dans sa faculté à épuiser le cartésianisme de ses commentateurs?