Café de Paris (Yves Mirande et Georges Lacombe, 1938)

Le soir de la Saint-Sylvestre, un meurtre a lieu dans un café parisien huppé.

Café de Paris est un film typique de la manière Mirande. Une intrigue cluedo (qui implique unité de temps et de lieu) donne lieu à une vue en coupe de la société mondaine de l’époque. Lorsque les ingrédients sont les mêmes, il est difficile de définir ce qui distingue un excellent Mirande d’un raté. A mon avis, la différence est ce qui reste une fois que la surface invariablement brillante (bons mots et monstres sacrés en frac) a été grattée. Parfois, il ne reste rien; c’est Paris New-York. Parfois, une vision désenchantée de la société s’exprime via des personnages magnifiques; c’est Derrière la façade. Ce Café de Paris entre heureusement dans la seconde catégorie bien que sa construction dramatique accorde peut-être trop d’importance au prétexte policier pour convaincre pleinement.

Derrière la façade (Yves Mirande et Georges Lacombe, 1939)

La propriétaire d’un immeuble parisien est assassinée. L’enquête de deux inspecteurs de la Sûreté est l’occasion de découvrir ce qui se passe chez chaque locataire, derrière la façade…

Au fil de l’intrigue-cluedo se déroulent donc plusieurs sketches qui brossent en filigrane une peinture cynique de la société de la IIIème Républiques. La verve percutante de Mirande (ses dialogues brillants sont ici parfaitement intégrés au récit), l’abattage de comédiens géniaux (voyez l’étincelante distribution) et une narration virtuose font exister pleinement une multitude de personnages qui apparaissent rarement plus d’une dizaine de minutes à l’écran. Derrière le vernis brillant, une certaine réalité sociale est abordée. Par exemple, les loyers sont dans un premier temps au centre de l’enquête des gendarmes. Ce qui donne lieu à une séquence très touchante qui montre avec simplicité et dignité le dévouement d’une fille pour son père infirme.

Le secret de Derrière la façade, sorte de quintessence du cinéma français des années 30, c’est qu’il en dit beaucoup sur la société de son temps non pas malgré les conventions dramatiques mais grâce aux conventions dramatiques. Les stéréotypes de légionnaire, de demi-mondaine, de maquerelle, de politicien à la vie privée dissolue ne sont pas encore usés parce qu’ils renvoient à la réalité de leur époque. A l’auteur de s’en servir puis de les dépasser pour s’affirmer. Ainsi du beau geste accordé à la fin du film au personnage de gigolo incarné par Jules Berry. Un geste qui cristallise bien la vision de Mirande, celle d’un moraliste cynique, qui tout en dressant le constat désenchanté d’un monde mené par l’argent et le sexe, fait montre d’une vraie tendresse et d’une profonde empathie pour ses personnages. Comme le marbre pour le sculpteur, les conventions sont ici une matière, une formidable matière, nécessaire à l’expression du cinéaste.