Illusions perdues (Xavier Giannoli, 2021)

Sous la Restauration, un jeune poète tourangeau arrive à Paris et brille dans le journalisme…

Bien sûr, les adaptateurs ont retranché pas mal de choses de l’immense chef d’oeuvre de Balzac. Mais en tant que tel, même si tout ce qui a trait au deuxième poète est évacué -faisant perdre aux Illusions perdues une bonne part de leur cruauté et de leur sublime-, même s’il se focalise uniquement sur la perdition de Lucien chez les journalistes, le film se tient. Dans ce dessein général, les quelques ajouts (le personnage de Jean-François Stévenin) ont du sens. Le discours politique, social et moral de l’auteur est réduit à une satire de la corruption prévisible et parfois anachronique (la confusion entre Restauration et monarchie de Juillet) mais jouissive et globalement juste; la reconstitution est vivante, riche de détails savoureux et de répliques originales percutantes, et s’appuie sur une belle pléiade de seconds rôles. Le rythme de la narration est enlevé grâce à un montage brillantissime même si le pot-pourri de musique classique en guise de bande originale est souvent plus facile que pertinent. Bref, les deux heures et demi passent comme un charme. Cette très bonne vulgarisation de Balzac -selon ma mémoire la meilleure adaptation cinématographique de l’écrivain- aurait quand même pu alléger sa voix-off qui fait avancer le récit plus souvent que l’image quand elle ne paraphrase pas cette dernière et qui fait preuve d’un didactisme neuneu laissant croire que le spectateur du XXIème siècle est vraiment devenu inculte.

Y a-t-il un Français dans la salle? (Jean-Pierre Mocky, 1982)

A la mort de l’oncle qui l’a élevé, un homme d’état tombe amoureux de la fille de sa femme de ménage et a affaire à des maîtres-chanteurs.

Jean-Pierre Mocky était un type marrant mais il faudrait voir à ne pas trop surestimer ses films. Sa mise en scène brouillonne n’insuffle aucune unité à un récit qui part dans tous les sens ni ne fait exister des personnages qui ont à voir avec le guignol, non avec l’humain. Pour certaines séquences délicates, le je-m’en-foutisme de Mocky confine à l’odieux; ainsi du viol présenté comme amusant, musiquette à l’appui. Se bornant à forcer les caricatures (à coups de grand angle notamment), le réalisateur ne se donne jamais la peine de faire croire à l’incroyable, à savoir l’amour entre ce politicien et cette adolescente. De plus, la formidable distribution n’est pas si formidable. En roue libre, ces acteurs n’ont pas le génie des vrais monstres sacrés. Jacqueline Maillan n’est pas Milly Mathis, Victor Lanoux n’est pas Jules Berry, Jean-François Stévenin n’est pas Saturnin Fabre.

Peaux de vaches (Patricia Mazuy, 1989)

Après 15 ans de prison pour avoir brûlé la ferme familiale, un homme revient au pays…

Dans ce premier long-métrage réalisé par Patricia Mazuy, on décèle déjà son ambition d’inscrire un sujet mythologique dans un cadre naturaliste. Il y a une beauté noble et grave dans les rapports entre les deux frères. Toutefois, le récit eût gagné à être plus approfondi (ou le film à être raccourci). C’est par des effets de manche grossiers que la cinéaste tente de compenser cette faiblesse de l’écriture. Pour surligner le côté « primitif et sauvage », elle filme complaisamment ses personnages se rouler dans la boue, ce qui d’ailleurs exprime une vision assez basse de nos agriculteurs. Régulièrement, elle tente d’ajouter de la tension et du mystère avec des scènes de jeu absurde comme celle où le frère s’amuse à mettre la gamine dans le four mais ces bizarreries ne débouchent sur rien et apparaissent donc artificielles. Peaux de vaches est également un des plus dignes représentants d’une tendance majeure du cinéma d’auteur français contemporain: la tendance inaudible. Comme si s’exprimer par borborygmes et marmonnements était une condition sine qua non à la paysan’s credibility…En bouseux tourmenté par le remord, Jacques Spiesser en fait parfois trop mais Jean-François Stévenin et Sandrine Bonnaire sont bien.

Neige (Jean-Henri Roger et Juliet Berto, 1981)

La neutralisation du dealer d’un quartier du Nord de Paris par la police y sème la pagaille.

Ce qui frappe d’abord dans Neige, c’est l’intensité de la présence des quartiers populaires parisiens où se déroule l’action: Pigalle, Clichy et autres Barbès n’ont jamais été aussi bien retranscrits au cinéma. Sans discours sociologique ni pittoresque, les plans-séquences inscrivent les personnages dans une réalité quasi-documentaire. Les trajectoires de ces personnages semblent au début assez chaotiques mais dessinent après la mort du dealer une sorte de tragédie auréolée d’une ironie déchirante.

Filmant un tel environnement, beaucoup de réalisateurs se seraient laissés aller à la complaisance dans le sordide. Ce n’est pas le cas de Juliet Berto et Jean-Henri Roger pour qui c’est au contraire l’occasion de célébrer la bienveillance, la grandeur d’âme et l’amour qui vous fait faire des bêtises. Ce, sans que rien ne paraisse forcé. Le sublime personnage interprété par Juliet Berto est d’autant plus plausible que, dans un contexte où les frontières morales sont aussi floues, son basculement est imperceptible.

Flics, serveuses ou travelos, tous sont, en plus d’être admirablement joués, regardés avec une inconditionnelle empathie par la caméra. Ne serait-ce que pour ce magnifique travelling qui suit, à une distance parfaite, un prostitué en manque ravi par la perspective d’un shoot imminent remonter une rue en sautillant avant d’être cueilli par la police, Neige se doit d’être vu.

Enfin, il n’y a que deux scènes de violence mais leur sécheresse est absolument terrible. Rarement cinéaste aura fait ressentir avec autant de force  le caractère à la fois dérisoire et irréversible d’une balle dans la tête. Et c’est ainsi que Neige demeure peut-être le plus beau polar français des années 80.

Psy (Philippe de Broca, 1981)

Un psychologue à la noix voit ses thérapies de groupe dans le château de sa riche fiancée perturbées par son ex en cavale.

Une communauté loufoque aux moeurs étranges dérangée dans son château par des malfrats qui viennent de commettre un hold-up, cela rappelle fortement Le diable par la queue, précédent film et parfaite réussite de Philippe de Broca. De fait, Psy est une sorte de pendant négatif du joyeux chef d’oeuvre de 1969. Douze ans se sont écoulés et le regard porté par notre cher vieux royaliste sur les utopies post-soixante huitardes est franchement (et logiquement) désabusé. C’est sûrement le film où de Broca est le moins tendre envers ses personnages. Il y a des accents carrément sinistres dans ce film, un arrière-goût bizarrement aigre. La photo est beaucoup plus terne qu’à l’habitude chez le cinéaste et c’est peu dire qu’on perd au change en troquant Georges Delerue contre Mort Shuman.

Le film est désordonné, loin du parfait équilibre de son glorieux prédécesseur. C’est comme s’il y avait deux films en un: la satire des idées libertaires d’un côté et l’histoire du couple qui bat de l’aile accueillant les malfrats de l’autre. Si ce n’est certes pas son plus grand rôle, c’est toujours un plaisir de voir Patrick Dewaere dans une comédie, il y quelques situations vraiment drôles, quelques piques faciles mais marrantes contre la psychanalyse, des seconds rôles bien campés mais la sauce ne prend pas tout à fait car aucune unité, aucune ligne de force n’est jamais trouvée.

Mona et moi (Patrick Grandperret, 1989)

Le jeune manager d’un groupe amateur a l’occasion d’organiser un concert de Johnny Valentine, légende du rock. Seulement l'(-ex) star est intéressée par la copine de notre héros, caissière de son état…

Mona et moi, c’est le rock&roll dans sa vérité la plus nue. C’est le héros déchu qui continue de fasciner une poignée de prolos (Johnny Thunders dans un rôle qui n’a rien d’un rôle de composition). C’est la came et les embrouilles minables qui vont avec. C’est l’incompréhension d’un père envers son fils (Jean-François Stévenin dont le personnage aurait gagné à être plus développé). C’est la difficulté économique et matérielle d’organiser un concert. C’est la faiblesse du fan qui passe à coté des vrais trucs (ici: sa copine) à cause de ses illusions surannées.