Maigret (Patrice Leconte, 2022)

Maigret enquête sur la mort d’une jeune inconnue lardée de coups de couteaux.

Une bonne surprise. Au début, j’ai craint le film académique, le polar mou et sans surprise dont les seules différences avec un épisode de série télé auraient été une photo exagérément sombre et une musique d’une qualité devenue rare (signée Bruno Coulais). Mais, au fur et à mesure de la projection, le véritable sujet de l’oeuvre se dessine; d’abord dans les interstices de l’enquête, puis de façon de plus en plus évidente. Ce sujet, c’est l’immense empathie du héros, une empathie d’autant plus vaste qu’elle ne va pas sans détachement, nourrie qu’elle est par la mélancolie et par le deuil. C’est avec une belle pudeur, et en s’appuyant sur un Gérard Depardieu qui incarne idéalement le personnage dans ses diverses dimensions (cependant les jeunes comédiennes manquent de justesse), que Patrice Leconte évoque ces fêlures et ces apaisements. Parce qu’il ne s’appesantit pas, son film a le mérite, devenu exceptionnel, de ne durer qu’1h25.

Des hommes (Lucas Belvaux, 2020)

Les éclats d’un homme lors de la fête d’anniversaire de sa soeur réveillent, dans sa famille, des traumatismes liés à la guerre d’Algérie.

Surabondance de voix-off qui ressassent leurs mauvaises consciences, dialogues-dissertations parfaitement invraisemblables, narration qui ménage artificiellement le mystère, gravité monotone et forcée (voir les grimaces des acteurs et actrices dans la scène d’introduction où même Depardieu est mauvais tant il joue la caricature de lui-même), dramaturgie qui repose sur un principe d’accumulation plutôt que d’évolution (inutilité de la scène de l’agonie de la fille-mère par rapport au reste du récit, facilité en même que fausseté de l’évocation des massacres de la division Das Reich…)…Au bon cinéma, Lucas Belvaux a préféré ici la mauvaise littérature.

Valley of love (Guillaume Nicloux, 2015)

Parce que leur fils suicidé leur a demandé dans une lettre, deux stars françaises se retrouvent dans la Vallée de la Mort.

Le morceau The answered question de Charles Ives (qui a certainement beaucoup inspiré Angelo Badalamenti) et le décor de la Vallée de la Mort aident Guillaume Nicloux, qui a un vrai sens du cadre, à concrétiser son ambition lynchienne quoique le surnaturel soit ici plus directement relié à un affect particulier que chez l’auteur de Twin Peaks. Isabelle Huppert et Gérard Depardieu, quasiment dans son propre rôle, apportent ce qu’il faut de pâte humaine à un tel drame. Dommage que, comme souvent dans les films récents de Nicloux, le récit soit aussi peu développé. En résulte un film qui touche par instants mais qui s’avère finalement frustrant voire vain; sans rapport avec le reste du film, certaines scènes -tel l’apparition de la petite fille sur le court de tennis- semblent là uniquement pour intriguer le spectateur à bon compte.

Illusions perdues (Xavier Giannoli, 2021)

Sous la Restauration, un jeune poète tourangeau arrive à Paris et brille dans le journalisme…

Bien sûr, les adaptateurs ont retranché pas mal de choses de l’immense chef d’oeuvre de Balzac. Mais en tant que tel, même si tout ce qui a trait au deuxième poète est évacué -faisant perdre aux Illusions perdues une bonne part de leur cruauté et de leur sublime-, même s’il se focalise uniquement sur la perdition de Lucien chez les journalistes, le film se tient. Dans ce dessein général, les quelques ajouts (le personnage de Jean-François Stévenin) ont du sens. Le discours politique, social et moral de l’auteur est réduit à une satire de la corruption prévisible et parfois anachronique (la confusion entre Restauration et monarchie de Juillet) mais jouissive et globalement juste; la reconstitution est vivante, riche de détails savoureux et de répliques originales percutantes, et s’appuie sur une belle pléiade de seconds rôles. Le rythme de la narration est enlevé grâce à un montage brillantissime même si le pot-pourri de musique classique en guise de bande originale est souvent plus facile que pertinent. Bref, les deux heures et demi passent comme un charme. Cette très bonne vulgarisation de Balzac -selon ma mémoire la meilleure adaptation cinématographique de l’écrivain- aurait quand même pu alléger sa voix-off qui fait avancer le récit plus souvent que l’image quand elle ne paraphrase pas cette dernière et qui fait preuve d’un didactisme neuneu laissant croire que le spectateur du XXIème siècle est vraiment devenu inculte.

Drôle d’endroit pour une rencontre (François Dupeyron, 1988)

Après une dispute avec son mari en pleine nuit sur l’autoroute, une femme rencontre un homme qui répare sa voiture sur une aire.

Les dialogues faussement littéraires, l’enchaînement complètement artificiel des situations, l’écriture de mauvais théâtre, les stars pas à leur place. Tout sonne faux dans ce très mauvais film, du Blier sans la fantaisie ni la verdeur.

Deux (Claude Zidi, 1989)

Un imprésario cavaleur s’éprend de l’agente immobilière qui lui vend sa maison.

Claude Zidi réussit son « film sérieux » grâce à la maturité de l’écriture et au charisme des comédiens, qui n’empêche pas une certaine dose d’humour pas toujours très fin. Le plus fascinant aujourd’hui est que Deux apparaît presque comme un documentaire sur Depardieu, ogre jouisseur qui baisse sa garde par amour.

Pas si méchant que ça (Claude Goretta, 1974)

Son père victime d’une attaque, le fils d’un patron d’une petite entreprise de menuiserie se rend compte de l’état catastrophique des comptes et commence à braquer des banques…

Un joli film, plein de tendresse, parfois émouvant et illuminé par Depardieu à l’époque où il avait la grâce. Cependant, le sujet, riche de potentiel dramatique et politique, aurait nécessité plus de vigueur dans son traitement et de précision dans sa dramaturgie pour aller au-delà de la joliesse.

Welcome to New-York (Abel Ferrara, 2014)

Le chef d’une grande institution internationale se fait inculper pour le viol d’une femme de chambre.

Cela commence comme un tableau grotesque des abus engendrés par la toute-puissance et ça se termine comme une réflexion catholique façon Bernanos où le double fictionnel de Strauss-Kahn s’avère la proie de Satan. Ce qui demeure le plus intéressant cinématographiquement parlant, c’est l’utilisation du corps de Depardieu, tantôt dominant (les longues orgies où il est un pur consommateur sexuel), tantôt dominé (les séquences de fouilles, non moins longues). Le sexe est filmé dans un parfait équilibre entre séduction et distance grâce au clair-obscur et aux grognements de Depardieu. Cependant, l’écriture pèche; les dialogues sont pauvres, tout ce qui a trait aux ambitions de la belle-famille n’est pas assez bien développé et les deux heures de projection ne sont finalement pas justifiés tant la matière narrative demeure faible. « DSK+Ferrara+Depardieu », cela demeure un coup plus qu’un film.

 

 

Danton (Andrzej Wajda, 1983)

De retour à Paris, Danton inquiète le comité de salut public.

Wajda a fait de Robespierre et Danton les deux faces de la Révolution: l’un est le monstre totalitaire et froidement sanguinaire tandis que l’autre est le sincère ami du peuple qui souhaite en finir avec la guillotine. Même si l’implacable démonstration de la folie criminelle des révolutionnaires a le mérite de remettre quelques pendules à l’heure (à commencer par celle du commanditaire François Mitterrand qui sortit furieux de la projection), cette schématisation a la tort d’être déroulée de façon prévisible. Dans sa globalité, le jeu des acteurs accentue l’impression de théâtralité qui émane d’une écriture très didactique et d’une mise en scène peu subtile. Cependant, quelques séquences -tel celle où Robespierre se prépare pour la fête de l’Etre suprême- se distinguent d’un ensemble assez académique grâce à leur beauté funèbre et étrange à laquelle contribue grandement la musique de Jean Prodromidès.

Les temps qui changent (André Téchiné, 2004)

A Tanger, un grand architecte français retrouve son premier amour…

Très beau quoiqu’imparfait. L’histoire du couple principal est traitée avec une justesse romantique que l’on avait plus vue dans le cinéma français depuis la mort de François Truffaut. A commencer par Catherine Deneuve et Gérard Depardieu, encore plus émouvant que dans La femme d’à côté,  tous les acteurs excellent. Toutefois, André Téchiné a inséré ce drame central dans un tissu romanesque qui ne convainc pas toujours tant il récupère tous les clichés d’un Maghreb sauvage et séduisant que n’auraient pas renié Jack Lang et Léon Poirier (la scène de l’abattage rituel parfaitement gratuite). Si le plan le plus beau du film est peut-être le panoramique où les deux anciens amants se retrouvent face aux clandestins qui attendent devant Gibraltar, celui du Noir arrêté devant Deneuve semble n’avoir aucun autre objet que l’étalage de la bonne conscience de gauche de son réalisateur nous disant alors quelque chose comme « je me passionne pour des histoires sentimentales entre grands bourgeois mais attention, je reste très concerné par les injustices de la société ». Au niveau du découpage, les tremblements de la caméra (à l’épaule?) fatiguent plus qu’ils n’insufflent une quelconque fièvre. C’est que les acteurs et la foi romantique de Téchiné suffisent à emporter le spectateur dans son récit.